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Siméon et Anne

Par Anselm_Grün

 

Marie et les bergers ne sont pas les seuls exemples de la foi en la filiation divine de Jésus. Luc reprend également à son compte un autre motif important, populaire aussi bien chez les Grecs que chez les Juifs ; celui du vieillard auquel il est accordé de vivre encore un événement marquant. Luc aime les rencontres entre des êtres initiés par Dieu lui-même, dans lesquelles l'être humain peut faire l'expérience du mystère de Dieu. Pour Luc, le Grec, elles impliquent toujours des hommes et des femmes ; ensemble, ils saisissent dans les événements l'action de Dieu. Mais le motif porteur, dans cette histoire, ce n'est pas seulement la polarité de l'homme et de la femme ; ce sont aussi les oppositions entre la Loi et l'Évangile, la joie et la douleur, la dignité rendue à l'homme et la souffrance que Jésus imposera à sa mère. Le monde qui attend Marie est tout sauf idyllique. À la joie que lui procure sont fils, l'Oint du Seigneur, se mêle la peine de la destinée qui lui est réservée. Ainsi, Luc met en lumière les, contradictions de notre âme. Pour nous aussi, Dieu est non seulement celui qui remplit notre cœur de joie, mais encore l'Incompréhensible qui suscite en nous la contradiction et attend de nous une mutation douloureuse. 

Marie et Joseph accomplissent la Loi de Moïse en amenant l'enfant à Jérusalem pour le consacrer au Seigneur. Cependant la Loi n'est rien d'autre que le passage vers la grâce, qui est apparue en Jésus. Au moment même où le rite est observé, c'est la surprise : la rencontre avec Siméon et avec Anne. Chez Luc, nulle spéculation sur le rapport entre la Loi et la grâce : il l'illustre par son récit. Cette histoire a touché bien des cœurs ; Origène a consacré à ce seul passage quatre homélies, tant il en était fasciné. Mais Luc ne se contente pas de raconter le mystère de Jésus tel que l'exprime le chant de louange de Siméon ; il nous donne aussi ce vieillard en exemple: celui de l'homme qui, face à la mort, peut jeter sur sa vie passée un regard reconnaissant. Mourant en chrétiens, en effet, il nous est permis de professer aussi : « À présent, selon ta parole, Maître, tu peux congédier ton esclave dans la paix. Car mes yeux ont vu ta délivrance ; tu l'as préparée à la face de tous les peuples» (2,29-31). Après l'hymne de Siméon, Luc dépeint la contradiction qu'il formule et que nous portons dans notre cœur. Jésus est pour nous paix et lumière, mais aussi glaive et souffrance. L'âme de Marie sera transpercée par une épée (2,35), elle partagera la souffrance de son fils. Jésus n'apporte pas seulement le salut, mais aussi le jugement. Par lui, les pensées des hommes apparaissent au grand jour, montrant comment certains se ferment à Dieu. À travers cette tension entre lumière et douleur, Luc indique qu'il n'écrit pas un simple récit, mais une tragédie au sens grec, la tragédie grecque ayant ei pour but déjà de solliciter et d'épurer les émotions e les sentiments de son public.

Après Siméon survient Anne. Alors que Siméon était présenté comme un « homme juste et pieux » (2,25), Anne est qualifiée de «prophétesse». À lui seul, un homme ne peut pas incarner la foi telle que l'entend Luc; il faut toujours lui associer en vis-à-vis une femme qui exprime un autre aspect de l'accueil fait à Jésus. Le caractère d'Anne, Luc l'explicite en rapportant son passé et son attitude présente ; son art de narrateur consiste à faire alterner le récit et la description. Anne a connu les trois stades de la condition féminine: elle a été fille, épouse et veuve. Elle est pieuse et « ne quitte jamais le Temple » ; elle est aussi prophétesse, elle voit plus profondément, elle sait ce que Dieu opère à travers Jésus : la délivrance à laquelle aspirent les Israélites pieux s'étend à tous les humains, apportant la fin de l'aliénation et le retour à l'état que Dieu leur avait destiné lors de la Création.

Après cette double rencontre, Marie et Joseph s'en retournent de Jérusalem à Nazareth, à leur vie quotidienne. « L'enfant grandissait. Il devenait fort. Il était plein de sagesse ; la faveur de Dieu l'accompagnait » (2,40). Luc affectionne le mot charis, la grâce. Il emploie ce mot au sens grec : « Charis, c'est quelque chose qui apporte de la joie [...] C'est ce qui rend aimable, qui suscite une émotion agréable [...] Ce qui, émané de la beauté, de l'élégance, d'un maintien gracieux, réjouit l'âme. En ce sens, charis est l'expression d'un sentiment typiquement grec de l'existence» (Schillebeeckx, p. 93). L'enfant Jésus qui grandit plaît à tous en raison de sa sagesse et de sa nature agréable, de sa beauté et de sa grâce.

Mais à cette image idéale Luc en ajoute aussitôt une autre, opposée. Jésus, ce n'est pas un enfant aimable et facile à élever. Âgé de douze ans, il s'émancipe: dans cet épisode, Luc relate un premier conflit familial. Il ne quitte pas Jérusalem avec ses parents ; après trois jours de vaines recherches, ceux-ci « le trouvent dans le Temple, assis parmi les maîtres. Il les écoute ; il les questionne » (2,46). Dans les paroles de Marie on perçoit l'écho d'un reproche et de la souffrance qu'il a infligée à sa mère : « Enfant, pourquoi as-tu agi de cette façon envers nous ? Dans l'inquiétude, ton père et moi nous t'avons cherché » (2,48). La réponse de Jésus leur reste incompréhensible. Pour la première fois dans cet Évangile, il nomme Dieu son Père : c'est à lui qu'il appartient, non à ses parents. Ce que Luc représente ici, ce n'est pas une famille sans histoire ; c'est la famille telle que nous la connaissons tous, avec ses conflits, avec la souffrance de voir que les enfants sont autres, qu'il faut les laisser suivre une voie que l'on ne comprend pas. Les parents doivent accepter que leur enfant soit différent, et même un étranger pour eux. Après ce conflit de la puberté, pourtant, le portrait redevient idéal : « Jésus devenait plus sage. Il grandissait en taille et en faveur devant Dieu et les hommes » (2,52). Alternance de l'idéal et du réel : les deux pôles font partie de Jésus, comme ils font partie de nous-mêmes; c'est seulement dans la tension entre proximité et distance, compréhension et incompréhension, communauté et éloignement, que nous accédons en grandissant à la forme agréable à Dieu qui correspond à notre beauté intérieure, notre charis.

C'est avec un grand art que Luc nous donne à voir la naissance de Jésus. Par les remarques, peu nombreuses, que j'ai faites à ce sujet, j'aimerais avoir suscité la curiosité du lecteur sur cet écrivain doué, capable de toucher directement les cœurs par-delà toutes les traditions culturelles et de leur faire pressentir le mystère de Dieu. Luc ne force jamais le trait ; il a un sens subtil des situations qu'il décrit, et il raconte ce qui se passe de telle façon que nous en saisissons intuitivement le sens profond. Ses images, il nous les présente avec retenue, avec précaution, afin qu'à travers elles nous percevions l'arrière-plan du mystère divin. Jamais nous ne serons rassasiés de les contempler ; si nous nous laissons imprégner par ce récit de la naissance et de l'enfance de Jésus, nous découvrirons dans chaque situation décrite d'autres facettes de l'amour divin.

Ce qui incite Luc à associer chaque fois des couples et des pôles, ce n'est pas seulement le goût de l'écriture artistique. Il y a là Jésus et Jean, Marie et Elisabeth, Marie et Joseph, Marie et les bergers, enfin Siméon et Anne ; puis encore l'obéissance à la consigne impériale et l'intervention inattendue de la grâce divine, la purification rituelle prescrite par la Loi et l'aube lumineuse de l'Évangile dans la prophétie de Siméon. Jésus, c'est le salut pour tous les peuples et en même temps la contradiction à laquelle se heurtent les humains. Cette polarité donne au récit de Luc sa tension. Cet art de la narration, on peut aussi l'interpréter par la psychologie des profondeurs : Luc montre qu'il nous faut toujours établir un lien entre les pôles qui sont en nous pour qu'en nous aussi du nouveau puisse naître et le Christ grandir. Nous devons établir un lien intérieur entre l'anima et l'animus, le masculin et le féminin, la vieillesse et la jeunesse, la loi et la grâce, l'assentiment et l'opposition. Comme Marie, nous devons comprendre et accepter toutes les contradictions qui nous agitent. C'est alors que le Christ nous apportera le salut, nous guérira de nos déchirements, fera de nous des justes, des êtres conformes à l'image originelle que Dieu a de nous.


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Modifié le  14-02-2012.