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Luc, médecin et peintre

Par Anselm_Grün

Le médecin

La tradition a fait de Luc un médecin ; certains exégètes soulignent le fait que son discours témoigne d'une formation médicale. Qu'il l'ait effectivement été ou non, peu importe ; le point décisif, c'est ce qu'il y a derrière cette image que s'est faite de lui la tradition. Luc était à l'évidence soucieux de guérir les hommes. De son Évangile et des Actes des Apôtres il ressort qu'il ne s'attache pas d'abord à enseigner la bonne doctrine, mais l'art de vivre dans la santé, ce que les médecins de l'Antiquité considéraient comme la première de leurs tâches. Luc présente Jésus comme le maître de cet enseignement, celui qui nous précède sur la voie d'une vie réussie. En termes modernes, on pourrait dire que Luc écrit un livre sur « La foi qui aide à vivre ».

Dans sa conception de la vie saine, Luc doit beaucoup à l'image grecque de l'homme. L'important pour les Grecs, c'était la juste mesure, condition que l'être humain devait remplir pour être kalos kagathos, « beau et bon ». Cette mesure implique un équilibre entre les opposés. La question fondamentale était en effet de savoir comment l'être humain peut accéder à sa véritable nature, surmonter sa division intérieure et réaliser l'unité en lui-même et avec Dieu. La voie de cette unité passe par la conciliation des contraires, et c'est pourquoi Luc se plaît à les évoquer dans son exposé. À la description de l'un des pôles de l'existence humaine succède aussitôt celle de l'autre pôle. On le voit dans le fait qu'à un homme il associe toujours une femme, notamment Siméon et Anne la prophétesse, ou encore Simon de Cyrène et les femmes éplorées. Chaque parabole portant sur des hommes est suivie d'une parabole consacrée aux femmes. Autre détail révélateur, sa prédilection pour les couples de sœurs, de frères, de femmes enceintes. Il représente toujours la polarité de l'être humain, qui est dans sa nature même ; quand il vient de traiter, de manière impressionnante, un motif, il le relativise aussitôt en décrivant le pôle opposé : par exemple, le motif de l'amour du prochain (10,25-37) aussitôt contrebalancé par celui de l'amour de Dieu (10,38-42). Il nous préserve ainsi de l'étroitesse d'un idéalisme qui nous expose sans cesse à ignorer la polarité et donc à dissocier des domaines importants de notre âme. Luc nous enseigne une voie équilibrée vers l'humanisation, l'art de vivre en étant vraiment vivants, c'est-à-dire dans la conscience et l'acceptation du caractère polaire de notre existence.

Cet Évangile est empreint d'une image positive de l'être humain. Luc n'est pas un moraliste ni un pessimiste ; il fait confiance à l'homme. L'important, pour lui, c'est que celui-ci puisse vivre de façon conforme à sa dignité originelle dans le monde qui est le sien, entrer en contact avec sa beauté et sa bonté originelles, réaliser l'image de l'homme qui était si chère aux Grecs. En Jésus, Luc voit celui qui accomplit l'épanouissement de notre image authentique. Il s'abstient de nous représenter sans cesse comme des pécheurs. En l'homme il y a un noyau divin, mais qui nous est devenu étranger; c'est pourquoi Jésus est descendu du ciel pour nous rappeler notre dignité première. De cette image positive que donne Luc, notre enseignement chrétien d'aujourd'hui aurait bien besoin. Trop longtemps nous avons pensé qu'il fallait d'abord rapetisser l'homme pour qu'il puisse recevoir la grâce divine. Luc renonce, lui, à cette méthode qui en fin de compte nous dévalorise. Il voit l'être humain tel qu'il est, avec sa dignité et aussi ses blessures. Il nous décrit Jésus comme le vrai médecin qui les guérit et nous enseigne l'art de la vie saine; alors que nous sommes recroquevillés sur nous-mêmes et ne voyons plus au-delà d'un horizon borné, il nous redresse et nous rend notre dignité.

Le peintre

L'autre image que nous a livrée la tradition remonte au peintre qu'était Luc. Elle aussi est incertaine du point de vue historique, mais elle n'en renferme pas moins une part de vérité. Luc est un écrivain doué, maître dans l'art de représenter les événements de telle façon qu'ils nous apparaissent comme un tableau. Ce n'est pas pour rien que Klaas Huizing a écrit un livre intitulé «Luc, portraitiste du Christ». Luc nous livre un portrait littéraire de Jésus. Certains sont d'avis que Luc n'était qu'un bon narrateur et un mauvais théologien; je ne peux pas être d'accord. Luc possède l'art de raconter l'histoire de Jésus de telle façon qu'y transparaît toute la théologie de l'humanisation. Que Jésus soit le Fils de Dieu, Luc n'a pas besoin de l'affirmer et de le démontrer; il raconte son histoire, et en lui nous voyons resplendir le divin. Le lecteur est touché par Jésus, et c'est Dieu lui-même qu'il voit apparaître; il est alors impliqué dans le processus de l'Incarnation. Pour moi, c'est un chef-d'œuvre de théologie.

Dans les récits de Luc, c'est le visage de Dieu qui nous apparaît, rayonnant, à travers l'homme Jésus. Quand nous regardons cette image, nous en sommes transformés ; quand nous lisons cette histoire, la rédemption s'opère. Quand je lis tous les sens en éveil, que - selon l'expression de Martin Luther -je m'introduis dans le texte en rampant, j'en ressors transformé ; j'ai rencontré l'être Jésus, et mon être en est profondément marqué. Ce texte crée une réalité nouvelle, et le lecteur n'est plus ce qu'il était, il est créé à neuf par le contact avec l'image de Jésus Christ, qui se grave en lui (cf. Huizing, p. 140 sq.).

Luc était formé à la rhétorique grecque, dont le but était de « visualiser un ensemble complexe de données» (ibid., p. 120). Pour Horace, il s'agissait de «peindre par les mots». Luc est maître dans l'art de donner de Jésus un portrait littéraire ; en décrivant ses gestes et son regard, il rend visible sa figure, et c'est ainsi que se crée une atmosphère, un espace affectif où le lecteur est touché par Jésus. Luc ne parle pas de l'incarnation de l'amour divin, il raconte une histoire dans laquelle cet amour se fait chair : celle du bon Samaritain (10,30-38). Quiconque la lit avec tous ses sens en éveil fait la même expérience que Rilke voyant le Laocoon au musée du Vatican : devant ce groupe fascinant, il eut cette certitude : « Tu dois changer de vie. » On ne peut pas lire cette histoire sans être incité à ressembler à l'image que Luc dessine de Jésus.

François Bovon commente cette faculté qu'a Luc de peindre par l'écriture : selon lui, Jésus illustre le double commandement d'amour, d'une part dans la parabole du bon Samaritain, d'autre part dans l'entretien avec Marthe et Marie (10,25-42). Les difficultés des questions théologiques, il les rend accessibles à l'entendement en usant d'une mise en scène suggestive,  par exemple la naissance virginale illustrée par le face-à-face et le dialogue de Marie et de l'ange (1,26-38) (Bovon, p. 16 sq.). La question de l'évangélisation des païens, il ne la traite pas en usant d'arguments intellectuels, mais à travers l'exemple concret de la conversion du centurion Corneille. Luc ne nomme pas les sentiments, il dépeint leurs manifestations : par exemple, Jean le Baptiste, avant sa naissance, « bondit » dans le ventre de sa mère Elisabeth (1,41) ; la pécheresse verse des larmes (7,38) ; Jésus se penche sur la belle-mère de Pierre, gravement malade (4,39). À l'évidence, Luc sait se mettre intuitivement dans toutes les situations, et il trouve pour chaque récit le style qui convient le mieux à ce qui se passe; c'est l'écriture même qui exprime, qui donne à voir les sentiments que lui inspire chaque fois l'événement ou la parole de Jésus.

Nous devons à Luc les plus beaux récits bibliques, comme celui des pèlerins d'Emmaüs, et les plus belles paraboles : le fils prodigue, l'intendant infidèle. Luc s'entend à fasciner son lecteur, ce qui ne témoigne pas seulement de sa culture, mais aussi de son sens de la beauté et de l'humanité. Il a le sens de l'humain, il aime les êtres pour lesquels il écrit ; écrire, pour lui, c'est créer des relations. Son double ouvrage, il ne le conçoit pas assis derrière un bureau, mais toujours déjà par rapport à son lecteur, présent devant lui, dialoguant avec lui. Il souhaite le gagner à Jésus, sans recourir à la platitude d'une argumentation, mais en touchant son cœur par des récits. Seul peut écrire ainsi celui qui a été ému lui-même au plus profond par la figure de Jésus.

Cependant, l'important pour Luc ce n'est pas seulement la personne de Jésus, mais en dernier ressort l'action de Dieu à travers Jésus, le Christ. Celui qui agit véritablement, c'est Dieu ; ce que Luc veut proclamer, ce sont ses grandes actions. Il ne parle pas de Dieu en termes abstraits, il raconte comment Dieu agit sur les hommes, qui peuvent saisir sa présence et voir ses interventions dans l'histoire. C'est ainsi que Luc, par ses récits, donne une image du Dieu invisible qui se manifeste à nous dans sa Création et dans les événements.

Le langage d'un homme est la révélation de son cœur. Celui de Luc ne manifeste pas seulement un homme de culture, mais aussi un médecin et un peintre ; un être dont le cœur bat pour les humains et qui veut les gagner à la vie, leur montrer comment vivre, ici, en ce monde, une vie pleine de sens. Il révèle aussi son sens esthétique, son sens de la beauté. Luc s'entend à faire des récits captivants ; il sait composer et, en dépit de sa vaste culture, il écrit avec simplicité, renonçant aux techniques de persuasion de la rhétorique grecque.

Luc adapte son style à chaque situation : il s'entend à formuler les pensées et les soucis de Marie en termes maternels, à relater avec solennité les débuts du Baptiste, en termes professionnels la pêche manquée, avec mystère la Transfiguration de Jésus, sur le mode polémique les débats de Paul avec les Juifs de Rome ; la prière et l'attitude des apôtres après l'Ascension sont représentées comme sur une icône, selon l'ordre hiérarchique, la rencontre avec Zachée en termes concrets, touchants, presque naïfs, le dramatique naufrage de Paul sur le mode romanesque, les discours missionnaires de Pierre sur le ton de l'enseignement dogmatique ; la prédication exégétique de Paul à la synagogue se conforme à la démarche de la pensée juive, et les discours défensifs de l'apôtre suivent celle de la rhétorique juridique. Ainsi, le langage ne manifeste pas seulement les dons de l'écrivain, mais encore la faculté qu'il a de saisir toute situation de l'intérieur, d'éprouver les sentiments des êtres qu'il dépeint, d'adhérer à la vie et d'aspirer à une vie accomplie. Comment Luc réussit à faire entrer l'histoire de Jésus dans la sphère de nos détresses et de notre nostalgie, c'est ce que je voudrais maintenant montrer en choisissant quelques exemples concrets.


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E-Mail : luc@ieschoua.org

Modifié le  14-02-2012.